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Original Research

Évaluation de l’application des lignes directrices de dyslipidémie de la Société canadienne de cardiologie publiées en 2021 quant au dosage de la lipoprotéine (a) au CHUS en 2021

Marc-Alexandre Lavoie1*, Luc Lanthier2

1médecin-résident en médecine interne générale à l’Université de Sherbrooke;

2Luc Lanthier, professeur titulaire à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke et interniste au CIUSSS de l’Estrie CHUS.

Abstract

Introduction: On March 26, 2021, the Canadian Cardiovascular Society (CCS) updated its dyslipidemia guidelines, recommending lipoprotein (a) measurement once in a patient’s lifetime, with the aim of enabling better cardiovascular risk assessment. It would therefore be interesting to determine the impact of this new recommendation on lipoprotein (a) prescription habits of physicians in Canada.

Methods: A single-center observational study was performed at the “Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS)”, and all patients with lipoprotein (a) measurements ordered from June 2020 to December 2021 were included. An interrupted time series analysis and a segmented linear regression were used in analyzing the data. To properly validate assumptions, a logarithmic transformation was applied to the number of lipoprotein (a) measurements ordered per week. The primary endpoint was based on the slope change following March 26, 2021, regarding the number of lipoprotein (a) measurements ordered every week.

Results: A total of 624 patients met our inclusion criteria. We observed an upward prepublication slope of 1.01 (95% CI: 0.99-1.02) and an upward slope of 1.03 (95% CI: 1.01-1.05) after publication. The slope difference between these two periods was statistically significant (p = 0.0014).

Conclusion: The 2021 CCS’ updated guidelines on the management of dyslipidemia have influenced lipoprotein (a) prescription habits of physicians at the CHUS in 2021.

Résumé

Introduction: Le 26 mars 2021, la Société canadienne de cardiologie (SCC) a mis à jour ses lignes directrices concernant la prise en charge de la dyslipidémie et suggère dorénavant le dosage de la lipoprotéine (a) à une reprise au cours de la vie des patients, afin de mieux évaluer leur risque cardiovasculaire. Il s’avérerait donc intéressant de déterminer l’impact qu’a eu cette nouvelle recommandation sur les habitudes de prescription de lipoprotéine (a) des médecins du Canada.

Méthodologie: Dans cette étude observationnelle unicentrique au Centre hospitalier universitaire de -Sherbrooke (CHUS), nous avons inclus tous les patients ayant eu une prescription de dosage de lipoprotéine (a) de juin 2020 à décembre 2021. Nos données ont été collectées sous forme d’une série chronologique -interrompue et analysées par une régression linéaire segmentée. Pour respecter les postulats de validité, une transformation logarithmique a été appliquée sur la valeur du nombre de prescriptions de lipoprotéine (a) par semaine. Le critère de jugement principal reposait sur l’effet soutenu, soit le changement de pente suivant le 26 mars 2021 relativement au nombre de prescriptions de lipoprotéine (a) par semaine.

Résultats: Un total de 624 patients répondait à nos critères d’inclusion. Nous avons observé un effet de pente prépublication à la hausse de 1,01 (IC 95% : 0,99–1,02) et un effet soutenu de 1,03 (IC 95% : 1,01–1,05) après leur parution. Il y a donc eu une augmentation de la pente entre ces deux périodes et celle-ci était statistiquement significative (p = 0,0014).

Conclusion: La publication des nouvelles lignes directrices sur la prise en charge de la dyslipidémie de la SCC, parues en 2021, a influencé les habitudes de prescription de la lipoprotéine (a) des médecins du CHUS en 2021.

Key words: Liporotein (a), dyslipidemia, Canadian Cardiovascular Society

Corresponding Author: Marc-Alexandre Lavoie: marc-alexandre.lavoie@usherbrooke.ca

Submitted: 6 septembre 2022; Accepted: 5 janvier 2023; Published: 28 février 2023

DOI: 10.22374/cjgim.v18i1.662

All articles published in DPG Open Access journals
This article is distributed under the terms of the Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International (CC BY-NC 4.0)(https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/).

Introduction

En 2020, la maladie cardiaque athérosclérotique et les maladies cérébrovasculaires occupaient respectivement les deuxième et cinquième rangs quant aux principales causes de mortalité au Canada.1 En 2021, la SCC a publié de nouvelles lignes directrices concernant la prise en charge de la dyslipidémie, qui suggèrent de doser la lipoprotéine (a) à une reprise au cours de la vie des patients lors de leur dépistage initial de lipides, afin de mieux évaluer leur risque cardiovasculaire.2

La lipoprotéine (a) est un type de lipoprotéine à basse densité qui est liée à l’apolipoprotéine A, elle-même liée à l’apolipoprotéine B (Apo B).3 Une concentration supérieure à 100 nmol/L (50 mg/dL) a été associée à une augmentation du risque d’infarctus du myocarde indépendamment de facteurs de risque cardiovasculaires déjà présents comme le diabète, l’hypertension artérielle et le statut tabagique.2,4 De plus, contrairement au dosage d’autres marqueurs lipidiques, le dosage sérique de la lipoprotéine (a) demeure stable au cours de la vie d’un patient puisqu’il est influencé à plus de 90% par des facteurs génétiques.5 Il n’est donc pas affecté par d’autres facteurs tels que l’âge, le sexe, les habitudes de vie et le jeûne.2

À ce jour, peu de traitements se sont avérés efficaces pour abaisser la concentration sérique de la lipoprotéine (a). Ceux-ci incluent les inhibiteurs de PCSK9,6 la niacine7 et les aphérèses.8,9 De plus, ces traitements s’avèrent soit coûteux, difficilement accessibles ou généralement mal tolérés (niacine). Malgré le fait que ces trois traitements semblent abaisser la concentration sérique de lipoprotéine (a), aucun essai clinique randomisé n’a démontré à ce jour qu’une réduction de la lipoprotéine (a) spécifiquement par une de ces thérapies était associée à une diminution des évènements cardiovasculaires majeurs.

Par ailleurs, la SCC a publié le 26 mars 2021 une version électronique de ses nouvelles lignes directrices portant sur le traitement de la dyslipidémie. Près de quatre mois plus tard, soit en août 2021, la SCC a publié cette même publication en format papier.

Au CHUS, le dosage de lipoprotéine (a) est disponible depuis plus d’une décennie. Il s’avérait donc intéressant de déterminer l’impact qu’a eu la publication de ces lignes directrices sur les habitudes de prescription de lipoprotéine (a) des médecins du CHUS. Plus spécifiquement, il pourrait être pertinent de préciser l’influence de la publication de ces lignes directrices en format électronique ainsi qu’en format papier.

Méthodologie

Objectifs et hypothèses de recherche

L’objectif primaire de cette étude était d’évaluer l’impact de la publication de ces nouvelles lignes directrices de la SCC sur les habitudes de prescription de la lipoprotéine (a) par les médecins du CHUS. Notre hypothèse était que la parution de ces nouvelles lignes directrices le 26 mars 2021 exercerait une influence statistiquement significative sur leurs habitudes de prescription.

Nous avions quatre objectifs secondaires dans cette étude, soit:

  1. D’évaluer, de façon indépendante, l’influence de la publication en version électronique (26 mars 2021) et en version imprimée (août 2021) de ces lignes directrices sur les habitudes de prescription de la lipoprotéine (a) des médecins du CHUS.

  2. D’identifier les spécialités médicales du CHUS prescrivant le plus fréquemment un dosage de lipoprotéine (a).

  3. De déterminer la proportion de patients ayant un dosage de lipoprotéine (a) ≥ 100 nmol/L au CHUS.

  4. D’évaluer les habitudes de prescription du bilan lipidique et de l’Apo B des médecins du CHUS.

Devis de l’étude

Il s’agissait d’une étude d’observation rétrospective unicentrique de type qualité de l’acte. Cette étude visait donc à évaluer la qualité des soins prodigués par les médecins du CHUS. Plus précisément, nous voulions déterminer si la nouvelle recommandation de la SCC quant au dosage de lipoprotéine (a) était appliquée dans la pratique des médecins du CHUS depuis mars 2021.

Population à l’étude et collecte de données

L’échantillon de cette étude était constitué de tous les patients âgés de 18 ans et plus ayant eu une prescription de dosage de lipoprotéine (a) au CHUS du 20 juin 2020 au 31 décembre 2021 inclusivement. Il n’y avait aucun critère d’exclusion.

L’échantillonnage de cette étude était de type non probabiliste de convenance. De plus, l’ensemble des patients correspondant à nos critères d’inclusion ont été identifiés via la banque de données de l’InfoCentre du CHUS. Le Comité d’éthique de la recherche du CIUSSS de l’Estrie – CHUS a approuvé cette étude sur le plan éthique.

Taille d’échantillon

Nous avons eu recours à des études de simulation afin de compléter l’analyse de puissance. Nous supposions que le nombre de prescriptions de lipoprotéine (a) par semaine était très faible dans la phase préintervention et qu’il serait suivi d’une faible augmentation à la suite de la publication de la version électronique, ainsi que d’une plus forte augmentation à la suite de la publication de la version papier. Nous avions estimé en moyenne 8 prescriptions de lipoprotéine (a) par semaine lors de la première phase (représentant 2 à 12 dosages par semaine), puis une augmentation graduelle de la moyenne de 18 prescriptions par semaine lors de la deuxième phase (représentant 15 à 25 dosages par semaine). Ces valeurs ont été déterminées sous l’avis d’un médecin spécialiste en biochimie médicale supervisant les dosages de lipoprotéine (a) au CHUS. Ainsi, en considérant deux périodes de 40 semaines (préintervention et postintervention) et 1000 itérations, il a été déterminé qu’il serait possible de détecter avec une puissance de 90% et un seuil alpha à 5%, une différence de pente significative. L’analyse de puissance a été réalisée à l’aide du logiciel «R».

Choix des méthodes d’analyse

Les variables nominales ont été présentées par des fréquences et des pourcentages. Les variables continues ont été présentées par une moyenne (écart-type) si la variable semblait normalement distribuée ou par une médiane [1er quartile – 3ième quartile] dans le cas contraire. Aucune méthode d’imputation n’a été utilisée. Les données manquantes n’ont été que présentées. Un seuil significatif de 5% a toujours été considéré. Les résultats ont été obtenus à l’aide des logiciels «SPSS» v.28 (Armonk, NY: IBM Corp.) et «R» v.4.0.5 (Vienna, Austria : R Core Team).

Afin de répondre à notre hypothèse primaire, nos données ont été collectées sous forme d’une série chronologique interrompue puis analysées par une régression linéaire segmentée. Trois effets étaient principalement considérés dans ce type modèle : un effet du temps prépublication, un effet immédiat de la publication et un effet pour le changement de pente postpublication. Ainsi, nous étions en mesure de démontrer une potentielle différence de pente significative entre le nombre de prescriptions par semaine lors de la période précédant le 26 mars 2021 (phase préintervention) comparativement à la période suivant le 26 mars 2021 (phase postintervention). Le postulat de normalité des résidus des modèles a été validé et une transformation logarithmique était appliquée au besoin sur la variable dépendante. Les tailles des effets ont été présentées par des différences de moyenne pour les modèles non transformés et par une augmentation en pourcentage pour les modèles log-transformés, accompagnées de leur intervalle de confiance à 95%. Les tests de Breusch-Godfrey et Breusch-Pagan ont été utilisés pour vérifier la présence d’autocorrélation et d’hétéroscédasticité des résidus respectivement. Si un effet d’autocorrélation était présent, il était convenu que le modèle serait ajusté pour l’effet de saisonnalité par un modèle «ARIMA».

Concernant notre premier objectif secondaire, nous avons comparé l’intervalle de temps allant du 20 juin 2020 au 26 mars 2021 (période préintervention) avec l’intervalle allant du 26 mars au 1er août 2021, soit la période correspondant à la publication des lignes directrices en format électronique uniquement. Puis, la période allant du 26 mars au 1er août 2021 a été comparée avec celle du 1er août au 31 décembre 2021, afin de déterminer l’impact de la publication en format papier.

Résultats

Entre le 20 juin 2020 et le 31 décembre 2021, 624 patients répondaient à nos critères d’inclusion. Le tableau 1 rapporte les caractéristiques démographiques et cliniques des patients. De ces 624 patients, la grande majorité était âgée de 50 à 74 ans (66%) et était des hommes (61%). De plus, 189 des 624 patients (30%) ont obtenu un dosage de lipoprotéine (a) ≥ 100 nmol/L.

Tableau 1. Caractéristiques démographiques et cliniques des participants

Variables Nombre total de patients (%)
Âge (années)a
<50 ans 120 (19)
50–74 410 (66)
≥75 94 (15)
Femmes 245 (39)
Lp (a) (nmol/L)b
<100 435 (70)
≥100 189 (30)

aMédiane d’âge = 64,04 [52,94–71,75]

bMédiane de Ip (a) = 35,95 [9,83–132,35]

Dans la période étudiée précédant la publication des lignes directrices, soit environ 9 mois, 118 prescriptions de lipoprotéine (a) ont été effectuées. De ces 118 prescriptions, la plupart provenaient de biochimistes (33%), endocrinologues (26%), médecins de famille (12%) et gériatres (10%). Seulement 5 prescriptions (4%) et 2 prescriptions (2%) étaient issues d’internistes et de cardiologues respectivement.

À titre comparatif, à la suite de la publication des lignes directrices le 26 mars 2021, soit environ 9 mois également, 506 dosages de lipoprotéine (a) ont été prescrits. Les spécialités ayant prescrit le plus souvent un dosage de lipoprotéine (a) lors de cette période étaient la médecine interne générale (34%), la cardiologie (23%) et la médecine de famille (19%). Ces résultats ont été rapportés dans la figure 1.

Figure 1. Habitudes de prescription de la lipoprotéine (a) par spécialité médicale au CHUS suite à la publication des lignes directrices de la SCC du 26 mars 2021.

Quant à notre objectif primaire, tel que mentionné précédemment, une régression segmentée a été utilisée afin d’analyser la série chronologique interrompue (voir -figure 2). Pour respecter les postulats de validité d’une régression linéaire, un modèle linéaire avec une transformation logarithmique a été appliqué sur la valeur du nombre de prescriptions de lipoprotéine (a) par semaine. Ainsi, pour l’interprétation des résultats, il a fallu considérer l’exponentiel de la valeur des coefficients représentant une augmentation ou une diminution en pourcentage. Aucune autocorrélation n’était présente dans cette série chronologique interrompue. L’exponentiel du coefficient de pente était de 1,01 (IC 95% : 0,99–1,02) avant la publication des lignes directrices de la SCC, et de 1,03 (IC 95% : 1,01–1,05), par après. Ainsi, pour chaque semaine écoulée lors de la phase préintervention, une augmentation de 1% du nombre de prescriptions par semaine de lipoprotéine (a) au CHUS a pu être notée. De plus, pour chaque semaine écoulée à suite de la publication des lignes directrices, une augmentation de 3% du nombre de prescriptions par semaine de lipoprotéine (a) au CHUS a pu être observée. Il y a donc eu une augmentation de la pente dans la période postintervention par rapport à la pente préintervention et celle-ci était statistiquement significative (p = 0,0014).

Figure 2. Nombre de prescriptions de lipoprotéine (a) par semaine avant et après la publication des lignes directrices de la SCC en fonction du temps.

Concernant notre premier objectif secondaire, la période du 20 juin 2020 au 26 mars 2021 a été comparée avec celle du 27 mars au 1er août 2021, afin de déterminer si la publication des lignes directrices en version électronique seulement avait eu un impact sur les habitudes de prescription de lipoprotéine (a) des médecins du CHUS (voir figure 3). Un modèle linéaire avec une transformation logarithmique sur le nombre de dosages de lipoprotéine (a) prescrit par semaine a également été appliqué sur ces données. Une autocorrélation était présente sur ces données et une correction par un modèle autorégressif a été réalisée. Une différence statistiquement significative était également présente entre les pentes de ces deux périodes (p = 0,047).

Figure 3. Nombre de prescriptions de lipoprotéine (a) par semaine avant et après la publication des lignes directrices en version électronique uniquement en fonction du temps.

Aussi, les périodes du 27 mars au 1er août 2021 ainsi que du 2 août au 31 décembre 2021 ont été comparées afin d’identifier si la publication des lignes directrices en format papier a exercé un effet supplémentaire sur les habitudes de prescription de lipoprotéine (a) par rapport à l’effet de la parution de la version électronique de ces mêmes lignes directrices (voir figure 4). Le même modèle linéaire avec transformation logarithmique a été appliqué et aucune autocorrélation n’était présente. Il a été possible de réaliser qu’il n’y avait pas de différence significative entre les pentes de ces deux périodes (p = 0,11).

Figure 4. Nombre de prescriptions de lipoprotéine (a) par semaine avant et après la publication des lignes directrices en version imprimée seulement en fonction du temps.

De plus, dans cette étude, les habitudes de prescription de l’Apo B ont été représentées par un modèle linéaire sans transformation logarithmique (voir figure 5). Aucune autocorrélation n’était présente. Il n’y avait également pas de différence statistiquement significative (p = 0,075) entre les pentes préintervention, soit 0,11 (IC : –0,18–0,41), et postintervention, soit 0,39 (IC : –0,04–0,81).

Figure 5. Nombre de prescriptions d’Apo B par semaine avant et après la publication des lignes directrices en version électronique en fonction du temps.

Par ailleurs, quant aux habitudes de prescription de bilan lipidique, un modèle linéaire représentait également adéquatement les données (voir figure 6). Un modèle «ARIMA» a été proposé afin de corriger la présence d’autocorrélation. La pente représentant le nombre de bilans lipidiques prescrit par semaine avant la publication des lignes directrices était de –2,49 (IC : –5,68–0,71) et de –0,29 (IC : –4,97–4,39) après la parution des lignes directrices. Cette différence de pente était non significative (p = 0,903).

Figure 6. Nombre de prescriptions de bilan lipidique par semaine avant et après la publication des lignes directrices en version électronique en fonction du temps.

Discussion

La publication des nouvelles lignes directrices de la SCC de 2021 sur la prise en charge de la dyslipidémie semble avoir influencé les habitudes de prescription de la lipoprotéine (a) des médecins du CHUS en 2021, comme le démontre notre étude. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la rapidité avec laquelle cette recommandation a été appliquée. Premièrement, le CHUS est un hôpital tertiaire avec un milieu d’enseignement universitaire ; les médecins y travaillant sont donc particulièrement et constamment à l’affut des nouveautés en recherche et en enseignement. Aussi, la nouvelle recommandation de doser la lipoprotéine (a) une fois dans la vie des patients dans le bilan initial de dépistage de dyslipidémie semble avoir fait l’objet de plusieurs critiques dans la communauté médicale, ce qui aurait pu contribuer à publiciser rapidement cette nouvelle recommandation. En effet, bien que le résultat du dosage de lipoprotéine (a) améliore l’évaluation du risque cardiovasculaire, aucun traitement pharmacologique n’est recommandé, à ce jour, par la SCC chez les patients avec une valeur élevée de lipoprotéine (a). Pour certains médecins, le dosage de la lipoprotéine (a) apporterait donc peu de valeur ajoutée en clinique.

De plus, il est possible de constater que des habitudes de prescription de lipoprotéine (a) ont subi une hausse significative à la suite de la parution de la version électronique, mais qu’aucun effet significatif supplémentaire n’a eu lieu après la publication de la version papier. En effet, les avantages perçus d’une publication électronique par rapport à une publication en format papier semblent avoir été plus importants aux yeux des médecins du CHUS. Plus précisément, la facilité d’accès, le nombre grandissant de publications électroniques sans abonnement requis, le faible impact environnemental, la facilité de partage, la rapidité de publication et la disponibilité des références sous forme de lien hypertexte d’une publication électronique se sont probablement avérés des atouts indéniables pour la plupart de ces médecins du CHUS.

Par ailleurs, la proportion d’internistes prescrivant un dosage de lipoprotéine (a) a été plus importante qu’attendue. En effet, lors de la phase préintervention, les endocrinologues et les biochimistes se trouvaient à être en tête de liste quant aux principaux prescripteurs de ce marqueur lipidique. Cela découle fort probablement du fait que ces deux spécialités chapeautent la clinique des lipides du CHUS, soit une clinique spécialisée dans laquelle des dosages de marqueurs lipidiques plus rares ont lieu. Dans la période postpublication, la médecine interne générale et la cardiologie respectivement étaient les spécialités dont la fréquence de prescription de lipoprotéine (a) était la plus élevée. Le nombre légèrement plus élevé d’internistes cliniciens (22) au CHUS par rapport aux cardiologues (16) peut expliquer en partie ces résultats. De plus, la cardiologie est un domaine intimement relié au champ d’expertise d’un interniste, ce qui peut expliquer l’intérêt des internistes à suivre des publications de la SCC. Ensuite, quelques internistes du CHUS sont spécialisés en médecine vasculaire. Ils sont donc souvent amenés à traiter l’ensemble des conditions vasculaires d’un patient comme un cardiologue. Il est à noter qu’aucun neurologue n’a demandé de dosage de lipoprotéine (a) lors de la période étudiée, soit une spécialité qui est fréquemment exposée à des maladies cérébrovasculaires athérosclérotiques. La publication de ces lignes directrices dans une revue de cardiologie a probablement eu pour effet qu’elles ont peu été consultées par les neurologues du CHUS.

De plus, près du tiers (30%) des patients ayant eu un dosage de lipoprotéine (a) présentaient une valeur ≥100 nmol/L. Cette forte prévalence de patients ayant un dosage de lipoprotéine (a) élevé pourrait être expliquée par la sélection d’une catégorie bien précise de patients. En effet, au CHUS, la majorité des examens de laboratoire sont demandés par des médecins spécialistes. Une proportion importante des dosages prescrits est donc probablement issue de patients déjà affectés par des maladies cardiovasculaires athérosclérotiques (MCVAS), soit en prévention secondaire. À titre comparatif, dans les études de O’Donoghue et al.10 et de Madsen et al .,11 33,1% et 25,7% des participants atteints de MCVAS avaient une lipoprotéine (a) ≥120 nmol/L et 105 nmol/L respectivement, ce qui s’apparente aux données de notre étude.

De plus, les habitudes de prescription de bilan lipidique et d’Apo B sont demeurées assez stables durant la période étudiée, soit de juin 2020 à décembre 2021, puisqu’il n’y a pas de différence de pentes statistiquement significative. Or, bien que la différence de pente préintervention et postintervention ne soit pas significative, il est possible d’observer une tendance à la baisse des prescriptions de bilan lipidique et à la hausse de prescriptions d’Apo B depuis la publication des lignes directrices de 2021. Ceci pourrait être dû à une tendance chez la communauté médicale du CHUS à favoriser de plus en plus les marqueurs lipidiques tels que l’Apo B et le cholestérol non-HDL plutôt que le C-LDL comme le suggère le panel principal des lignes directrices de la SCC.

Notre étude comporte plusieurs forces. Premièrement, à notre connaissance et à ce jour, aucune étude n’a évalué l’impact de la publication de ces lignes directrices de la SCC dans la pratique médicale. Aussi, aucune étude n’a actuellement comparé l’impact d’une publication électronique par rapport à une publication en version papier sur les habitudes de prescription des médecins du Canada.

Cette étude comporte certaines limites. En premier lieu, elle est de type descriptive et rétrospective, et donc plus à risque de biais. De plus, celle-ci comporte un petit échantillon de patients surtout en ce qui concerne le nombre de prescriptions de lipoprotéine (a). Cet échantillon aurait pu être d’une plus grande taille, et cela, pour la même période, s’il avait été possible d’inclure tous les patients ayant eu une prescription de lipoprotéine (a) et ayant eu un dosage au CHUS entre le 20 juin 2020 et le 31 décembre 2021. Pour des raisons politico-administratives, il n’a pas été possible d’obtenir les données de 383 patients supplémentaires, étant donné que ceux-ci n’avaient pas de numéro de dossier du CHUS. Or, il est important de se rappeler que la présente étude se limitait à évaluer les habitudes de prescription des médecins du CHUS uniquement et non des médecins provenant de l’extérieur du CHUS.

Dans les prochaines années, il sera intéressant de découvrir l’impact de nouvelles thérapies pharmacologiques comme les oligonucléotides antisens sur la réduction des événements cardiovasculaires majeurs chez les patients avec un dosage élevé de lipoprotéine (a).

Conclusion

La publication des nouvelles lignes directrices sur la prise en charge de la dyslipidémie de la SCC parues en 2021 a influencé les habitudes de prescription de la lipoprotéine (a) des médecins du CHUS en 2021, et ce, dès leur publication en version électronique.

Budget

Le département de médecine interne générale du CHUS a assumé les frais relatifs à cette étude.

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.

Remerciements

Les auteurs remercient le programme de résidence en médecine interne générale de l’Université de Sherbrooke, le département de médecine interne générale du CHUS, l’unité de recherche et épidémiologique du Centre de recherche du CHUS, Samuel Lemaire-Paquette et Laura Pronovost.

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